France: Une représentante de l'ONU juge la loi française "à double tranchant"

Source: 
Le Monde
Asma Jahangir, rapporteur spécial sur la liberté religieuse de la commission des droits de l'homme, devait rendre publique, 29 septembre, une déclaration sur la situation de la liberté religieuse en France.
Elle dresse un bilan mitigé de l'application de la loi interdisant les signes religieux à l'école, qu'elle juge "à double tranchant".
" L'application de la loi semble bien se passer, explique-t-elle. Elle a eu un effet positif : elle protège les jeunes filles que leurs familles veulent forcer à porter le foulard. Mais la loi a aussi donné lieu à de nombreux débordements, dont on peut se demander s'ils ont toujours été bien mesurés par les autorités. On m'a rapporté plusieurs cas de femmes prises à partie dans la rue ou ailleurs parce qu'elles portaient le voile. Dans de nombreux cas, l'application de la loi par les établissements scolaires a conduit à des abus, qui ont provoqué des sentiments d'humiliation, en particulier parmi les jeunes filles musulmanes. Ces situations sont susceptibles de radicaliser les croyances religieuses."

"MODÈLE FRANÇAIS DE LAÏCITÉ"

Mme Jahangir a enchaîné les entretiens, avec des personnalités officielles mais aussi des responsables associatifs et des acteurs de terrain. Pourquoi avoir choisi la France ? "Pour trois raisons, explique-t-elle. D'abord, parce que le modèle français de laïcité est très singulier en Europe. Ensuite, parce que le rapport parlementaire de 1995 sur les sectes a suscité de nombreuses inquiétudes sur la liberté religieuse. Enfin, afin d'étudier les conséquences de la loi sur les signes religieux."

Sur la question des sectes, Mme Jahangir est satisfaite. "La situation s'est améliorée. La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires a une attitude plus équilibrée."

Asma Jahangir est une célébrité au Pakistan. Cette petite femme tranquille, vêtue d'un sari et entourée d'une cohorte de fonctionnaires des Nations unies, a croisé le fer à de nombreuses reprises, dans son pays, avec des groupes fondamentalistes musulmans. Elle a été l'avocate des femmes victimes de crimes d'honneur.

Elle a été nommée rapporteur spécial sur la liberté religieuse dans le monde pour la commission des droits de l'homme en juillet 2004. Sa visite en France donnera lieu à un rapport, qui devrait être rendu public en décembre, puis soumis à la commission des droits de l'homme en mars-avril 2006. De son expérience au Pakistan, Asma Jahangir a tiré une conviction forte : "L'intolérance nourrit l'intolérance. On lutte contre le fanatisme avec les armes des droits de l'homme."

Xavier Ternisien
Article paru dans l'édition du 30.09.05