France/Mali: Quand la France ouvre la route de l'excision

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Libération
Fille d'un ex-combattant de l'armée française, Kankou va être expulsée au Mali, où sa grand-mère veut la mutiler.
Djeneba, 46 ans, et sa fille Kankou peinent à occuper leurs journées. Sans titre de séjour régulier, isolées dans un hôtel situé à dix kilomètres au sud d'Orléans, elles attendent un signe des autorités françaises.
Las, mercredi, le tribunal administratif a confirmé la décision préfectorale de reconduite à la frontière pour ces deux ressortissantes maliennes. Pour Kankou, collégienne discrète de 13 ans, cette expulsion se double d'une perspective dramatique, puisque sa grand-mère l'a clairement menacée d'excision au travers d'une lettre : «Nous avons décidé ensemble, à Bamako, d'exciser nos filles. À peu près une quarantaine. Donc, comme convenu entre nous, il faut nous envoyer Kankou (...). Une fille qui n'est pas excisée est sale, malade, jetée comme une marchandise.»

Collectif. Les associations qui défendent Djeneba et Kankou, regroupées au sein d'un collectif «des enfants de sans-papier», arguent aussi du passé du père de Kankou : ancien combattant de l'armée française, avant d'être embauché régulièrement comme agent de sécurité depuis son arrivée en France en 1992. «A ce moment, lorsqu'il a voulu faire venir sa famille dans le cadre du regroupement familial, il craignait pour l'avenir de Kankou», insiste Martine Rico, présidente départementale de la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE), précisant aussi que «sa première fille avait déjà subi l'excision. Il ne voulait pas exposer Kankou à cette mutilation». En mai 2003, quelques mois après l'arrivée de sa fille et de son épouse, le père décède subitement. «Du jour au lendemain, elles sont devenues irrégulières, sans la moindre ressource», relève Martine Rico. Georges Hage, vice-président (PC) et doyen de l'Assemblée nationale, connaissait le père et s'est fendu d'un courrier à Nicolas Sarkozy, ministre de l'Intérieur. Sans succès. En mai 2004, Pierre Bauchet, le maire de Fleury-les-Aubrais, (45) où résident alors Djeneba et Kankou, alerte le préfet. La réponse est encore négative.

Assises à la terrasse d'un bistrot du centre-ville, des militantes associatives tentent de réconforter les deux ressortissantes maliennes que les forces de l'ordre devraient bientôt emmener en centre de rétention, puis expédier dans leur pays d'origine. Kankou répond aux questions d'un simple hochement de tête. «Elle est scolarisée depuis trois ans sur Fleury-les-Aubrais et parfaitement intégrée, souligne une militante. Tous les matins, elle passe plus d'une heure dans les transports en commun pour gagner son collège.»

Expulsions. Suite à la décision prise par le tribunal administratif de confirmer leur reconduite à la frontière, seul le préfet peut intervenir. Une décision qui serait naturellement accueillie avec soulagement, mais à laquelle personne ne semble croire. «Le Loiret est devenu une sorte de laboratoire de la lutte contre l'immigration clandestine, regrette Alain Pineau, de la Ligue des droits de l'homme (LDH). À ce titre, la préfecture considère tous les demandeurs d'asile comme des fraudeurs en puissance. Les expulsions s'accélèrent comme jamais. Dès la rentrée, nous allons même avoir une police spéciale chargée de traquer les clandestins... au faciès.» Allusion à la «police de l'immigration» annoncée fin mai par Dominique de Villepin dans le cadre du plan d'action contre l'immigration clandestine. Du côté préfectoral, on se refuse à traiter les cas individuels, préférant parler d'un «phénomène de masse». «Nous sommes en train de vider le stock de demandeurs d'asile qui, pour la plupart, sont animés par des raisons purement économiques», affirme Michel Bègue, secrétaire général de la préfecture du Loiret. «Les associations de défense des droits de l'homme contestent la loi ou la commentent. Moi, je suis chargé de l'appliquer.»

Par Mourad GUICHARD
vendredi 19 août 2005
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