Maroc: Ahmed Taoufiq «La réforme du champ religieux, une priorité»

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Le Matin
Dans le cadre de la série de rencontres que nous avons faites avec des responsables et autres personnalités au sujet des projets et autres chantiers du règne de S.M. Mohammed VI ...
le ministre des Habous et des Affaires islamiques nous a livré son analyse sur les réformes entreprises du champ religieux.
« L'élaboration d'une théorie de travail, qui n'est pas une simple hypothèse», est ainsi présentée par Ahmed Taoufiq comme le premier axe du grand chantier de la réforme du champ religieux.

«Nous œuvrons pour la traduire dans une stratégie d'intégration, intégration des faits et des institutions religieuses dans le processus institutionnel en cours dans notre pays.

Cela permettra aux différents acteurs sociaux se réclamant d'une affinité religieuse ou s'inspirant dans leur vision de la religion, de connaître leur limite, de reconnaître les règles du jeu, d'accepter l'effort des autres institutions ou individus comme étant “religieux” par principe et compte tenu de la finalité du religieux qui se résume dans le bien », souligne le ministre.

Quel bilan peut-on faire aujourd'hui de la réforme du champ religieux initiée au Maroc ?

La réforme du champ religieux a fait ses avances dans trois directions. D'abord, l'élaboration d'une théorie de travail, qui n'est pas une simple hypothèse. Nous œuvrons pour la traduire dans une stratégie d'intégration, intégration des faits et des institutions religieuses dans le processus institutionnel en cours dans notre pays.

Cela permettra aux différents acteurs sociaux se réclamant d'une affinité religieuse ou s'inspirant dans leur vision de la religion, de connaître leur limite, de reconnaître les règles du jeu, d'accepter l'effort des autres institutions ou individus comme étant “religieux” par principe et compte tenu de la finalité du religieux qui se résume dans le bien.

Aujourd'hui, on constate que le devoir d'ordonner le bien et de blâmer ou interdire le mal n'est plus et ne peut plus être l'apanage d'un théologien ou d'un prédicateur. Le théologien et le prédicateur doivent remercier Dieu qui a fait aboutir l'histoire de l'humanité à ce qu'elle est aujourd'hui au moins dans ses slogans et ses projets, en matière d'éveil politique, d'organisation des compétences et quant à la place qu'occupe la notion de droit dans la définition de l'Etat.

Reconnaître les bienfaits dans l'histoire du présent revient à reconnaître des manifestations éclatantes de la grâce divine. Il faut y participer par l'éloge que tout prédicateur perspicace doit faire de la démocratie, l'accepter d'abord et œuvrer pour la moraliser ensuite.

Le travail pédagogique pour convaincre de cette théorie doit démontrer que cette démarche d'intégration vise “la fondamentalisation” (Ta'sil) de tout ce qui est positif dans la vie moderne en lui trouvant des appuis théoriques dans la religion qui s'est installée par ses quêtes de libéralisation.

Ensuite, l'institutionnalisation du champ religieux qui était encadré dans le passé par la coutume reconnue (Al Maârouf) et qui demande une définition formelle. Une bonne partie a été achevée par la promulgation des dahirs au sujet de la restructuration du ministère de la mise en place des conseils des oulémas, de l'organisation de l'enseignement religieux, etc.

Les femmes ont de plus en plus leur place dans les institutions religieuses. Quel impact et quelles retombées aujourd'hui sur la pratique religieuse du pays ?

La promotion de la femme à son rang normal a valeur de rachat historique. L'être féminin est au cœur du religieux. Son rôle de création, de transmission de valeurs, d'éducation, est religieux par excellence. Il faut abattre toutes les coutumes bédouines qui associent la honte à l'être-femme.

Quand le Souverain du Maroc écoute une conférencière du haut de son pupitre sur un sujet de haute teneur religieuse, tout le monde musulman trébuche pour mieux retrouver sa sérénité. Et ce n'est qu'un début.

La création au sein du Conseil supérieur des Oulémas d'une instance académique ayant pour mission de faire des propositions de Fatwa à la Commanderie des Croyants est aujourd'hui d'actualité. Quel est l'objectif derrière une telle décision ?

Ce n'est là que la continuité d'une tradition. Et pour ne mentionner qu'un seul cas : les sultans du XIXe siècle ont demandé aux oulémas regroupés dans des « machyakha » (Conseils informels) des fatwas pour contrecarrer les ambitions de certaines puissances étrangères conquérantes. Aujourd'hui, l'objectif est double :
  • premièrement, donner la parole aux autorités religieuses instituées et qui parlent à la communauté dans le respect des procédures ;
  • deuxièmement, éviter le désordre référentiel religieux qui sévit dans d'autres pays qui souffrent d'instabilité politique ou d'un déficit dans la gestion des droits.
De même qu'on parle d'une identité marocaine à définir, on parle d'un Islam marocain. Quel serait-il ?

Les anthropologues se permettent d'introduire l'effet d'un ancrage diversifié du religieux dans le milieu et parler ainsi d'un Islam marocain par exemple. Ce qui nous intéresse ici ce n'est pas cette dimension anthropologique qui, d'ailleurs, n'a rien de contradictoire avec le caractère universel de la religion islamique, on est plutôt devant une expérience d'intégration de notre pensée et pratique religieuses à nos choix de style de gestion de la vie publique, j'entends par là le processus démocratique et la promotion des libertés dans les cadres définis par la loi. Une réussite dans ce domaine proposera un modèle d'harmonie où tout le monde, y compris les “religieux”, y trouve sa place.

Une grande opération de restructuration a touché les mosquées. Quels en sont aujourd'hui les résultats ?

Une amélioration de la logistique et du discours.

Entretien réalisé par Khadija Ridouane | LE MATIN
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