Déclaration du réseau Femmes Sous Lois Musulmanes sur les attentats de Londres

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Le réseau Femmes Sous Lois Musulmanes
Le réseau Femmes Sous Lois Musulmanes exprime ses condoléances aux familles de ceux qui ont été tués et sa compassion à ceux qui ont été gravement blessés dans les attentats épouvantables à Londres le 7 juillet.
Notre solidarité s’étend à tous ceux qui luttent au Royaume-Uni contre la violence, en particulier nos alliés au sein des mouvements des femmes et les autres personnes progressistes au Royaume-Uni.
Femmes Sous Lois Musulmanes réitère ses commentaires concernant les attentats de septembre 2001 : « Notre chagrin est particulièrement ressenti parce que nombreuses sont les personnes liées à notre réseau qui ont directement éprouvé la terreur et la dévastation qui l’accompagne. Nous savons que la violence et le terrorisme aveugles des acteurs étatiques et non-étatiques constituent un phénomène mondial. Cependant, nous voyons dans tous ces agissements des attaques au principe du respect de la vie des personnes civiles… »

Femmes Sous Lois Musulmanes persiste à croire que mettre fin au terrorisme requière que l’on s’attaque aux racines de l’inégalité : la pauvreté et la privation, l’injustice et l’exploitation au niveau mondial et au sein de chaque pays, ainsi que les politiques intérieures et extérieures hypocrites ou perçues comme telles.

Le racisme et l’homogénéisation

Les attentats de Londres ont eu lieu dans une ville ayant une importante communauté musulmane issue de l’immigration, une communauté qui aujourd’hui comprend une troisième génération.

En accentuant la « responsabilité de la communauté musulmane » de dénoncer les attentats et en soulignant les déclarations des « chefs religieux », les médias ainsi que les responsables gouvernementaux acceptent effectivement les allégations de groupes politico-religieux d’extrême droite qui affirment que ces agissements ont rapport à la religion. Il s’agit en effet de crimes violents, qui ne peuvent être justifiées. Le réseau Femmes Sous Lois Musulmanes refuse l’anéantissement de nos identités diverses par des forces qui se réclament des « Musulmans », alors qu’elles poursuivent leurs propres agendas politiques, y compris à travers le terrorisme.

En outre, Femmes Sous Lois Musulmanes constate que l’on impose une identité religieuse aux personnes uniquement sur la base du lieu de naissance, de l’origine, ou de la couleur de la peau. Cette focalisation sur une identité religieuse présumée est par ailleurs nuisible à la pensée laïque.

Le fait que les auteurs des attentats soient nés en Grande Bretagne évoque également le spectre de « l’ennemi interne ». Le réseau s’inquiète que ceci a suscité une augmentation immédiate des attaques racistes et a enraciné plus profondément le racisme au long terme.

Femmes Sous Lois Musulmanes est également préoccupée par le fait que cette connexion interne n’ait apparemment pas soulevé de questions concernant la complaisance de longe date de la part des autorités du Royaume-Uni à l’encontre des activités des groupes politico-religieux d’extrême droite sur leur sol. Londres est le foyer de nombreuses personnes laïques d’origine culturelle musulmane ainsi que des Musulmans progressistes. Elle abrite également de nombreux groupes d’extrême droite qui abusent de l’islam afin de favoriser leurs objectifs de domination politique et sociale. Parmi plusieurs exemples que l’on puisse citer, le site Internet d’un groupe caritatif musulman enregistré au Royaume-Uni préconise la mutilation génitale féminine, utilisant des textes religieux pour soutenir de telles pratiques nuisibles et dégradantes. Rachid Ramda, accusé par la justice française de financer les attentats de Paris en 1995, est détenu au Royaume-Uni ; dix ans après les évènements, il n’a pas encore été extradé en France.

L’impact sur les luttes pour les droits humains et la répression des options laïques

Le réseau Femmes Sous Lois Musulmanes est également préoccupé par le fait que de tels groupes d’extrême droite au sein de la communauté musulmane britannique vont s’efforcer de tourner à leur avantage un racisme bien réel.

Des rapports politiques émanant des gouvernements et des corporations multinationales en Europe et en Amérique du Nord préconisent de plus en plus le dialogue avec des « musulmans modérés » ; Ces rapports ne semble pas se demander qui a donner le pouvoir à ces « musulmans modérés » de s’exprimer en notre nom ou au nom des communautés musulmanes [« Preventing a ‘clash of civilisations’ », BBC, 13 avril 2004, et « Leaked No 10 dossier reveals Al-Qaeda’s British recruits », The Sunday Times, 10 juillet 2005]. Une telle approche ignore que plusieurs groupes dits « modérés » ont des positions extrêmement régressives concernant les droits des femmes et les droits d’autres groupes marginalisés comme les homosexuels, ainsi que des minorités comme les chiites et les ahmédiens. De même, une partie de la gauche mondiale considère d’une manière erronée ces ‘modérés’ présumés comme alliés dans la lutte contre le capitalisme et la domination globale de Washington.

Femmes Sous Lois Musulmanes craint que, suite aux attentats de Londres, certains groupes politico-religieux essayeront de consolider cette ‘alliance sacrilège’, ce qui rendra de plus en plus invisibles les croyants progressistes et les laïques dans tous les contextes musulmans (y compris en Europe et en Amérique du Nord).

Par ailleurs, nous craignons que ces groupes d’extrême droite, en exploitant les sentiments de culpabilité éprouvés par les mouvements libéraux face au contre-coup raciste provoqué par les attentats, fassent pression pour faire passer une législation, déjà sous considération au Royaume-Uni, qui ferait de la ‘haine contre la religion » un crime, ainsi que des ‘lois contre le blasphème’ dans d’autres pays. Comme nous avons pu constater au sein de notre réseau, ces lois sont largement utilisées pour imposer le silence aux progressistes et laïques, imposer une identité religieuse aux gens, et renforcer les interprétations monolithiques de la religion.

L’impact sur les femmes

Les femmes vont vraisemblablement subir les conséquences de différentes manières. Dans un contexte global au sein duquel tous les ‘Musulmans’ sont conçus en tant que terroristes potentiels, les femmes vont également être stigmatisées en tant que membres de communautés extrémistes ; en même temps, elles continueront d’être la cible de forces intégristes à l’intérieur de leurs communautés.

Immédiatement après les attentats, l’impact possible sur les droits des femmes dans les communautés musulmanes, et en particulier les communautés d’immigrés au Royaume-Uni, était déjà visible. Le président de la Muslim Association of Britain (Association des musulmans de Grande Bretagne) a rapidement mis en garde : « Les femmes portant le voile en particulier doivent être vigilantes et éviter les déplacements non nécessaires ». La violence raciste est donc déjà utilisée pour limiter la mobilité des femmes et renforcer davantage la ségrégation entre les sexes.

Cette création d’une mentalité de siège, ainsi que le fait d’imposer le silence aux voix alternatives, rendront encore plus difficile les possibilités pour les femmes dans les communautés musulmanes de prendre la parole contre les pratiques patriarcales et régressives. A vrai dire, ces développements auront un effet violent sur les femmes dans d’autres contextes musulmans : les démarches discriminatoires seront vraisemblablement justifiées au nom de la protection des « valeurs musulmanes menacées ». Les demandes de droits de famille séparés largement discriminatoires envers les femmes pourraient augmenter sous ce masque. Notre expérience suggère que lorsque des mouvements politico-religieux sont légitimés dans un contexte, ceci suscite un impact immédiat sur les luttes pour les droits humains dans d’autres contextes, d’une manière qui traverse les frontières géographiques et de religieuses.

De surcroît, il est vraisemblable que les libertés civiles subiront davantage de restriction au Royaume-Uni suite aux attentats. En retour, ceci servira d’exemple et renforcera le pouvoir des gouvernements des pays dans lesquels travaille le réseau Femmes Sous Lois Musulmanes. Ces gouvernements n’ont pas manqué d’utiliser avec opportunisme leur participation à la ‘guerre contre le terrorisme’ afin de réprimer l’opposition politique progressiste.

En fin de compte, Femmes Sous Lois Musulmanes craint que la suppression de l’opposition progressiste, la répression des voix alternatives, et l’homogénéisation forcée des communautés musulmanes en Europe et ailleurs résultant vraisemblablement de la réaction aux terribles attentats du 7 juillet, profitent aux agendas de l’extrême droite politico-religieuse. Ceci pourrait contribuer à rendre de telles atrocités plus vraisemblables dans le futur.