Senegal: Oulimata Gaye, présidente du comité de lutte contre les violences faites aux femmes

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Le Soleil
Il existe des dispositions patriarcales dans le Code de la famille.
Condamnant le statut actuel des femmes dans la société, la présidente du Comité de lutte contre les violences faites aux femmes regrette l’institutionnalisation qui en est faite dans les textes de lois et préconise de troquer dans ces textes les iniquités qui existent.
L’application de la loi contre les violences faites aux femmes suscite des remous. Certains reprochent d’ailleurs une certaine légèreté aux magistrats, est-ce vrai ?

Je pense qu’on ne va pas faire un procès aux magistrats. Car, ils appartiennent tous à la société. Ce ne sont pas tous les magistrats qui refusent d’appliquer la loi. Mais dans notre travail, il y a certaines décisions qui nous choquent quand il y a des cas de violences comme le viol où la loi n’est pas appliquée dans toute sa rigueur. Nous avons donc un travail de sensibilisation à mener. Il faut signaler aussi que je ne pense pas qu’il y ait trop de dossiers concernant les violences. Car il y a des résistances dues à certaines pesanteurs socioculturelles.

Il y a donc des femmes qui refusent d’aller au tribunal ? Mais pourquoi ?

On n’encourage pas les femmes à aller devant le juge. Cela dépend. Ce que nous faisons ici, c’est que nous apportons une assistance médicale en les mettant en contact avec des médecins qui acceptent ou des sages-femmes qui œuvrent dans les structures relevant de certaines organisations non-gouvernementales (ONG) et associations. Nous apportons aussi une assistance judiciaire, car quand une femme est devant quelqu’un qui a un avocat, vous voyez les forces ne sont pas égales. Donc, dans la mesure du possible, si la femme n’a pas les moyens, nous la mettons en contact avec des avocats. Alors lorsque nous n’avons pas les moyens, il y a certaines femmes comme l’Association des femmes juristes sénégalaises qui acceptent de plaider leur cause.

Donc, la loi ne règle pas tout à l’étape actuelle ?

Vous voyez, lorsque vous traînez votre mari devant la justice, même pour une affaire civile de divorce, c’est déjà mal vu. À plus forte raison, une histoire de violence qui peut conduire à une condamnation pénale. Ce sont des réalités auxquelles nous sommes confrontées et nous ne pouvons pas forcer les femmes à aller devant le juge. Parce que, quoi qu’on dise, c’est la femme qui se trouve toujours dans une situation de vulnérabilité. Généralement, quand la femme n’a pas les moyens, nous essayons de régler le problème sans faire recours au juge. Nous menons des actions de médiation et il est rare que les femmes aillent devant le juge, sauf si la femme le demande.

Quelle est la forme de violence la plus récurrente ?

On pense souvent systématiquement aux coups et blessures quand il s’agit de violences. C’est vrai. Mais la forme la plus pernicieuse est la violence économique. Elle consiste pour le mari à priver sa femme de nourriture et de soins. C’est surprenant dans un pays musulman. Et là, je parle surtout des hommes qui ont des sources de revenus et qui ne donnent pas à manger à la femme, ne prennent pas en charge la scolarité des enfants.

Quelles sont les raisons à l’origine des violences ?

Le véritable problème, c’est celui du statut de la femme qui justifie les violences. Et là, toutes les classes (pauvre, moyenne et aisée) sont concernées par le phénomène. Cela veut dire que le problème est profond. Il faut revoir le statut de la femme.

Est-ce que vous pouvez être plus explicite ?

Il s’agit des rapports sociaux et non des vérités bibliques. Ce sont des hommes qui ont fait des lois et qui ont mis la femme dans une situation d’infériorité. Il faut donc revoir les lois et valoriser plus la femme dans la société.

Pourtant, dans la constitution (Art. 7), c’est quand même dit que l’homme est égal à la femme.

Ce sont des vœux pieux. Dans tous les textes, on proclame cette égalité. Même dans le Code de la famille. Mais lorsqu’on décortique ces textes, on se rend compte qu’il y a des dispositions patriarcales qui sont là. C’est toujours l’homme qui est le chef de la famille. Entre autres, la femme n’a pas le droit au choix du domicile conjugal. Elles sont dans une situation de vulnérabilité et de plus elles sont analphabètes.

Selon vous, c’est la loi qui maintient ce rapport de domination ?

Il y a la loi et il y a également la société. Malheureusement, c’est institutionnalisé dans les textes de lois. Mais dans le principe, dans l’imagination de l’homme sénégalais, la femme est inférieure à l’homme. La femme doit se soumettre, doit être obéissante et en général, on se rend compte par rapport aux violences, il y a un problème de déficit de communication.

Parmi tous les cas que vous avez rencontrés, y a-t-il un cas qui vous a marqué ?

Je ne supporte pas les questions d’inceste. Des cas, il y en a toujours. Mais ce qu’on a constaté ces dernières années, c’est le viol. Il y a de plus en plus de cas de viols commis par les pères. Et avec les cas de VIH/SIDA, cela devient inquiétant. Il faut que l’on commence, dès le plus jeune âge, à apprendre aux enfants à respecter les droits de la femme.

Pensez-vous qu’il faille inclure cet apprentissage dans les programmes scolaires, l’enseignement des droits humains ?

Oui, je pense que cela est nécessaire. Parce que les enfants sont les produits de la société. Et en général, dès le bas âge, les enfants développent des comportements de violence. Et les femmes sont en partie responsables car si nous arrêtons la discrimination au niveau des enfants, cela va contribuer à diminuer l’ampleur du phénomène.

Avez-vous un dernier mot à l’endroit des victimes et des autorités ?

À l’endroit des victimes, je pense qu’elles doivent briser le silence, il faut en parler. Il faut trouver quelqu’un dans votre entourage à qui vous pouvez en parler. Il faut sortir de l’isolement. Au niveau des autorités, je crois qu’il y a un manque de volonté politique quelque part. On ne sent pas encore très bien l’effort des autorités. C’est toujours des déclarations d’intention.

Si l’Etat prenait ses responsabilités, la situation irait mieux. Mais, les gens pensent toujours que la religion constitue un blocage quand on parle du droit des femmes. Or, personne ne respecte en totalité la religion. Il y a des leaders d’opinion, aussi. Je pense que si un grand marabout décidait de faire respecter le droit des femmes, cela allait marcher. On ne parle que des devoirs des femmes. Pour nous, c’est clair, on connaît nos obligations, mais quelles sont les obligations des hommes par rapport aux femmes ? Il y a la volonté politique qui fait défaut. Et l’on ne peut pas se développer si on continue par museler 52 % de la population.

PROPOS RECUEILLIS PAR ALAIN TOSSOUNON

Le Soleil 08/03/2005
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