Algérie: En Algérie, le code de la famille maintient la femme sous tutelle

Source: 
Le Monde
Après des mois de négociations, la réforme du code familial de 1984 vient d'être adoptée par le gouvernement.
Malgré quelques avancées, elle échoue à établir l'égalité des droits, et le "tuteur matrimonial" demeure nécessaire. Les associations féministes se disent scandalisées.
Après des mois de retard, plusieurs amendements au code algérien de la famille ont été approuvés en conseil des ministres, à Alger, mardi soir 22 février. Cette réforme doit désormais être adoptée par l'Assemblée nationale, mais cela devrait être une formalité.

Le président Abdelaziz Bouteflika a cependant reculé devant le plus audacieux - sur le plan symbolique - des amendements envisagés : la suppression du wali ("tuteur" pour la femme) lors de la conclusion du contrat de mariage.

L'avant-projet, adopté par le gouvernement à l'automne 2004, prévoyait pourtant que la présence du tuteur matrimonial, le plus souvent père ou frère, ne serait plus obligatoire. Les partis islamistes dénonçaient par avance cette disposition, contraire, disaient-ils, à la charia, le droit religieux qui régit la vie des musulmans.

Les islamistes n'étaient pas les seuls à critiquer le projet. Dans les mosquées, le vendredi, les imams, relevant pourtant du ministère des affaires religieuses, ne se privaient pas de dénoncer cette entorse à la charia. Même les zaouïas - confréries religieuses très ancrées dans le pays profond -, fort éloignées de l'islamisme politique, réclamaient le maintien du tuteur.

Les associations féministes, quant à elles, ne s'étaient pas vraiment mobilisées. Les amendements envisagés étaient à leurs yeux trop timorés. Ce qu'elles réclamaient, c'était l'abrogation du "code de l'infamie".

Entre le chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia, qui défendait le projet, et ses détracteurs islamistes ou religieux, la polémique a été si âpre que le projet de réforme du code de la famille a paru renvoyé aux calendes grecques.

En fin de compte, le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, a tranché : la présence du tuteur matrimonial est maintenue, y compris pour la femme majeure. La bataille autour de cette question a largement occulté les progrès - minimes - contenus dans les autres amendements. Certains d'entre eux tentent pourtant de corriger des situations scandaleuses, en premier lieu celle du logement, problème crucial en Algérie. En cas de divorce, la femme se retrouvait jusque-là à la rue avec ses enfants, le mari conservant le domicile conjugal.

Dorénavant, l'époux a l'obligation d'assurer le logement à ses enfants mineurs dont la garde reste confiée à la mère. La situation de nombreuses femmes algériennes, dormant sur les trottoirs avec leur progéniture après une répudiation, est si tragique qu'elle a permis d'éviter toute polémique. Il y a eu sur ce point consensus.

L'âge du mariage, qui était de 21 ans pour les hommes et de 18 ans pour les femmes, passe à 19 ans pour l'un et l'autre. Le mariage par procuration est aboli. Cette pratique permettait l'organisation de mariages forcés, dans les campagnes surtout. La polygamie n'est pas supprimée, mais elle est soumise au consentement préalable "de la ou des épouses-et de la future épouse". Une autorisation du président du tribunal est rendue nécessaire. Il reviendra au juge de vérifier ce consentement ainsi que "les motifs et l'aptitude" de l'époux à assurer "l'équité et les conditions nécessaires à la vie conjugale".

De ces changements, il est probable qu'on retiendra surtout le recul du président Bouteflika sur la question du tuteur matrimonial. Le chef de l'Etat a préféré ne pas aller à l'encontre du courant dominant et ne pas risquer de s'aliéner des soutiens - religieux notamment - dont il a besoin pour faire passer son projet de loi d'amnistie sur les années de guerre civile.

A cela s'ajoute le fait que l'opinion publique n'a pas compris, dans sa majorité, la volonté du gouvernement de supprimer le tuteur. Pour beaucoup d'Algériens, la présence du père ou du frère de l'épouse va de soi lors de la conclusion de l'acte de mariage. Le tuteur n'est pas toujours considéré comme contraignant. Il est là pour représenter la femme au cours de la cérémonie religieuse et civile - ce que reprochent précisément les avocates de la cause des femmes -, non pour forcer la future épouse à un mariage dont elle ne voudrait pas. En outre, dans l'écrasante majorité des cas, l'enregistrement au niveau de l'état-civil est une formalité qui vient après la cérémonie de la fatiha (lecture d'une sourate du Coran), celle-ci se faisant toujours en présence des parents des deux époux.

Avancés par les défenseurs du statu quo ou d'aménagements de façade, ces arguments font bondir les féministes. Pour la sociologue Dalila Iamarene, "rien n'a changé" dans le nouveau code, et cet immobilisme est "un signe de mépris". Même la question du logement n'est pas réglée, estime-t-elle. "Les enfants vont devenir un moyen de chantage. Les hommes risquent de se battre pour les garder afin de conserver le logement", redoute-t-elle. Dalila Iamarene se dit surtout atterrée par le décalage entre la loi et ce que vivent les Algériennes dans la vie quotidienne. "Les femmes sont présentes partout, à tous les postes professionnels, y compris dans le secteur informel, souligne-t-elle. Et pourtant, on continue de les considérer comme des demi-personnes. C'est scandaleux."

Florence Beaugé (avec notre correspondant à Alger)
Mariage, polygamie, héritage et aménagements du droit de la nationalité

Le code de la famille adopté en juin 1984 sous le régime du parti unique s'inspirait directement de la loi islamique et consacrait une inégalité juridique entre les hommes et les femmes. Le code approuvé, mardi 22 février, par le conseil des ministres introduit plusieurs réformes.

Le mariage : l'âge du mariage, qui était de 21 ans pour l'homme et de 18 ans pour la femme, est uniformisé à 19 ans. L'époux ne peut plus donner procuration à une tierce personne pour le représenter lors de la conclusion d'un mariage. La procuration a été supprimée dans le but de prévenir les mariages forcés. Le divorce : le mari est tenu d'assurer le logement à ses enfants mineurs dont la garde est confiée à la mère. En cas de divorce, le droit de garde revient à la mère de l'enfant, puis au père. Le tutorat : la présence d'un tuteur matrimonial pour le mariage de la femme même majeure est maintenue. Quand une femme n'a pas de tuteur, c'est le juge qui en assume le rôle. Le tuteur ne peut empêcher une femme de contracter un mariage si elle le désire et il ne peut la contraindre au mariage. La polygamie (jusqu'à 4 épouses) : elle est maintenue, elle est assortie du consentement préalable de l'épouse. Un juge doit vérifier la réalité de ce consentement. Devoirs de l'épouse : elle est tenue d'obéir à son mari, d'allaiter sa progéniture si elle est en mesure de le faire et de l'élever, de respecter les parents de son mari et ses proches. Contrairement au mari, le droit pour la femme de demander le divorce est limité à des situations particulières : infirmité sexuelle de l'époux, absence de plus d'un an sans motif. Droits d'héritage : ils sont inchangés. La femme n'a le droit qu'à la moitié de ce qui revient à l'homme. Double nationalité : un étranger désireux d'acquérir la nationalité algérienne ne sera plus obligé de répudier sa nationalité d'origine. Ce cas de figure est rare. Transmission de la nationalité : la nationalité algérienne à la naissance sera reconnue par filiation maternelle, alors que jusqu'à présent elle ne résultait que de la filiation paternelle. Nationalité par mariage : la nationalité algérienne pourra s'obtenir de plein droit par le mariage avec un Algérien ou une Algérienne. Auparavant, seule la naturalisation (à la discrétion de l'Etat) était possible.

ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 25.02.05