Maroc: Moudawana: La confusion des genres n’est plus de mise

Source: 
La Nouvelle Tribune
Dans son discours au Parlement, le Souverain a donné un sérieux coup de pouce à la réforme du Code de la Famille ouvrant ainsi la voie à un traitement nouveau de problèmes demeurés jusqu’alors pratiquement inaccessibles pour ne pas dire tabous.
On se souvient très bien du grand événement qui a marqué le 12 mars de l’année 2000. Ce dimanche là, tout a été dévoilé.
La bataille politique entre conservateurs et progressistes s’annonce chaude sous la coupole. La situation de la femme était bel et bien au coeur de grandes polémiques et de controverses (Le plan d’intégration de la femme dans le développement, son statut dans la loi marocaine, égalité entre l’homme la femme ainsi que la révision de la Moudawana). Le oui des manifestants de Rabat et le non de ceux de Casablanca ont de ce fait constitué le point de départ d’une profonde réflexion sur la véritable situation de la femme au Maroc. Au lendemain des attentats meurtriers du 16 mai à Casablanca, une attitude quasi-consensuelle, assez générale par ailleurs, militait pour un changement certes, mais un changement en douceur et opéré par étapes. Très vite, un collectif composé de représentants de la société civile appelé « Démocratie et Modernité» se créa. Objectif: regrouper toutes les forces démocratiques du pays, quels que soient leurs choix politiques ou leurs convictions idéologiques ou doctrinales autour de principes fondamentaux de la démocratie et de la modernité. Une manière de lutter contre les dérives anti-démocratiques, d’instrumentalisation de la religion, d’incitation à la haine, au racisme et à la violence. Dans ce contexte, la Moudawana et l’égalité entre l’homme et la femme constituaient incontestablement la clé de voûte du projet de modernité dans son ensemble. C’est cette Moudawana qui constituait, selon ce collectif, le plus souvent le terrain fertile pour l’utilisation du discours religieux par les forces politiques et dans ces conditions il est grand temps que chacun assume ses responsabilités en faveur de la modernité. Les 28 associations féministes, quant à elles, ne sont pas allées par quatre chemins pour dire qu’après des années d’études sur le Statut Personnel, elles ont conclu que la Moudawana va dans le sens d’une inégalité flagrante entre l’homme et la femme: Le mot d’ordre n’est autre que l’obéissance. Les vraies valeurs de la modernité et de la démocratie ne peuvent être concrétisées et réalisées, selon ces associations, qu’à travers une véritable révision de la Moudawana. Ce vendredi 10 octobre 2003, S.M. le Roi tranche et met les points sur les «i» dans la haute instance représentative du pays. Le discours du Souverain annoncé à l’occasion de la rentrée parlementaire crée donc l’événement.

Timing

Ainsi donc, à l’achèvement du processus électoral déclenché depuis l’été dernier ( Communales, renouvellement du tiers de la Deuxième Chambre, l’élection des Chambres Professionnelles) et suite à l’épuration quasi-totale des principaux dossiers judiciaires de la Salafia Jihadia, le Souverain relance, à point nommé, les réformes envisagées pour le Maroc nouveau. En premier lieu, la Moudawana. Par rapport donc au texte en vigueur, d’importantes avancées ont été enregistrées. Pour ce qui est de la responsabilité familiale, elle est confiée à la responsabilité conjointe des deux époux. Alors que dans le texte actuel, la famille relève de la responsabilité unique du mari. L’égalité au niveau des droits et devoirs des deux époux a été profondément revue. Dans ce sens, la fameuse règle de « l’obéissance de l’épouse à son mari» a été mise de côté dans le nouveau Code de la Famille. L’autre égalité entre les deux sexes introduite dans le nouveau texte concerne l’âge légal du mariage. Au lieu de 18 ans pour l’homme et 15 ans pour la femme, le nouvel âge du mariage est fixé uniformément à 18 ans. Il a été procédé également à l’abolition de la règle qui soumettait la femme, au titre de la Wilaya dans le mariage, à la tutelle d’un membre mâle de sa famille: La «Wilaya» est dorénavant conçue comme étant un droit de la femme majeure qui est maîtresse de son choix et l’exerce selon sa propre volonté et son libre consentement. Concernant la répudiation et le divorce, le nouveau texte leur donnent une nouvelle définition. Les deux mesures sont définies comme une dissolution des liens du mariage qu’exercent le mari et l’épouse, sous contrôle judiciaire, selon des conditions légales propres à chacun d’entre eux.

De la dignité

Dans l’actuel texte, la répudiation et le divorce constituent une prérogative exercée par l’époux de manière discrétionnaire et souvent abusive. Dans cette optique, il a été institué ce qui est appelé le divorce consensuel sous contrôle du juge. Chose qui n’existe pas dans le texte en vigueur. Pour ce qui est de la garde des enfants, la fille, au même titre que le garçon, ont la possibilité de choisir librement, à l’âge de 15 ans, la personne à qui leur garde serait confiée. Le traitement qui offre cette possibilité à l’âge de 12 ans au garçon et de 15 ans actuellement à la fille est désormais dépassé. Les MRE ont vu la procédure de leur mariage facilitée. Contrairement à l’actuel texte qui soumet les MRE aux mêmes conditions et procédures applicables à l’intérieur du Maroc. Dans le nouveau projet, l’acte de mariage est établi en présence de deux témoins de confession musulmane et en conformité avec les procédures en cours dans le pays d’accueil, puis enregistré par les services consulaires ou judiciaires nationaux. En ce qui concerne la polygamie, elle a été soumise dans le nouveau Code à des mesures légales draconiennes qui la rendent presque inaccessible. D’abord, le juge doit s’assurer qu’il n’existe aucune présomption d’iniquité et être convaincu de la capacité du mari à traiter la deuxième épouse et ses enfants sur le même pied d’égalité que la première et à leur garantir les mêmes conditions de vie. Ensuite, la femme est en mesure de conditionner son mariage par l’engagement du mari à ne pas prendre d’autres épouses, considérant que c’est l’un de ses droits. En absence d’une telle condition, la première femme doit être avisée que son mari compte se marier avec une autre épouse et celle-ci informée qu’il est déjà marié. En outre l’épouse peut invoquer le mariage du mari pour demander le divorce pour préjudice subi. Dans l’actuel texte, le mari a pour obligation d’aviser uniquement l’épouse de sa décision de prendre une deuxième épouse et d’informer celle-ci qu’il est déjà marié ( l’autorisation du juge n’étant pas requise). Le juge, quant à lui, bénéficie d’un statut très particulier dans le cadre du nouveau Code de la Famille. Ce dernier intègre comme nouveauté l’intervention d’office du Ministère Public dans toute action visant l’application des dispositions de ce code. Il doit, à cet effet, prévoir des permanences les week-ends et les jours fériés afin qu’il puisse intervenir d’urgence si c’est nécessaire. La mise en place des tribunaux de Famille et la création d’un Fond d’Entraide Familiale sont autant de mesures à même de permettre une mise en oeuvre efficiente du Code de la Famille. Dispositions qui n’existent pas dans l’actuel texte.

En somme, il est actuellement évident que la réaffirmation de l’attachement à l’institution d’une justice familiale ne peut avoir de signification que si dans les faits son exercice est réellement protégé contre les inégalités ou les abus des autorités judiciaires. On a beau faire l’inventaire des textes en admirant leur contenu, mais ce n’est pas à l’aune des dispositifs juridiques que l’on peut valablement mesurer et évaluer l’étendue de la nouvelle législation de la Famille: Sans contrôle du juge, elle risque d’être à la merci de l’arbitraire.

H.Z.

Les détails d’une réforme

Ainsi donc, devant les représentants de la Nation, le Souverain a insisté sur 11 points substantiels du Code de la Famille: 1-Adopter une formulation moderne et placer la famille sous la responsabilité conjointe des deux époux.

2-Faire de la Wilaya (la tutelle) un droit de la femme majeure, qu’elle exerce selon son choix et ses intérêts. La femme peut, toutefois, mandater de son plein gré à cet effet, son père ou un de ses proches.

3-Assurer l’égalité entre l’homme et la femme au sujet de l’âge de mariage, fixé uniformément à 18 ans. Assurer également l’égalité entre la fille et le garçon confiés à la garde, en leur laissant la latitude de choisir leur dévolutaire à l’âge de 15 ans.

4- La polygamie n’est autorisée que selon les cas et les conditions légales précises.

5-Simplification de la procédure de mariage pour les MRE, de sorte qu’il soit suffisant de l’établir en présence de deux témoins musulmans.

6-Restreindre le droit de répudiation reconnu à l’homme, en lui attachant des normes et conditions visant à prévenir un usage abusif de ce droit.

7-Elargir le droit dont dispose la femme pour demander le divorce judiciaire, pour cause de manquement du mari à l’une des conditions.

8-Préserver les droits de l’enfant en insérant dans le Code les dispositions pertinentes des conventions internationales ratifiées par le Maroc et en garantissant l’intérêt de l’enfant en matière de garde, laquelle devrait être confiée à la mère, puis au père, puis à la grand-mère maternelle.

9-Protéger le droit de l’enfant à la reconnaissance de sa paternité au cas où le mariage ne serait pas formalisé par un acte, pour des raisons de force majeure.

10-Conférer à la petite-fille et au petit-fils du côté de la mère, le droit d’hériter de leur grand-père, dans le legs obligatoires, au même titre que les petits-enfants du côté du fils.

11-Tout en retenant la règle de séparation de leurs patrimoines respectifs, les conjoints peuvent, en principe, convenir du mode de gestion des biens acquis en commun, dans un document séparé de l’acte de mariage. En cas de désaccord, il est fait recours au juge.


Entretien avec M. Khalid Naciri, professeur de Sciences Politiques

Pas de place au triomphalisme!

La Nouvelle Tribune: Quelle lecture faites-vous des changements qu’a connus la Moudawana?

M. Naciri: S.M. le Roi a mis dans la balance tout son poids moral et politique et il a porté la vision d’un grand réformateur pour aller au devant de revendications fondamentales portées depuis très longtemps par les forces démocratiques du pays. Il est évident que dans son effort de synthèse entre la fidélité à la tradition musulmane et les impératifs de la mise à jour et de l’engagement dans la modernité, le résultat est extrêmement probant incarné par le nouveau Code de la Famille ne peut que susciter l’adhésion pleine et entière, je dirais enthousiaste, de tous les démocrates, les modernistes et de tous les défenseurs d’une société apaisée, solidaire et démocratique.

Comment pouvez-vous interpréter la réforme du Code de la Famille sur le plan politique?

Cela veut dire que S.M le Roi a pris cette cause pour une lecture ouverte, décomplexée et moderne de la Chariâ. Il a tenu à préciser dans ce sens qu’il ne lui appartenait pas de rendre licite ce qui était expressément déclaré illicite par le texte coranique, ni de déclarer illicite ce que le texte coranique a déclaré licite. Mais à l’intérieur de cette démarche, le Souverain s’est positionné comme un Roi réformateur et un Roi qui est délibérément partie prenante à un projet de société moderniste sous l’impulsion d’une monarchie réformatrice et d’une mouvance démocratique certes plurielle, mais fermement décidée à aller de l’avant. Je pense que la vision rétrograde, passéiste et réactionnaire à pris un coup sévère à l’occasion de cette réforme du Code de la Famille. Le mérite revient, bien sûr, au courage politique de S.M. le Roi.

Justement, peut-on voir en cette réforme une victoire pour certains et une défaite pour d’autres?

C’est une «défaite» pour les tenants d’une vision rétrograde et réactionnaire, mais je pense qu’il faut éviter tout triomphalisme tout en considérant que nous avons marqué un point extrêmement important dans l’intérêt du pays. Je crois qu’il est important de lever toute équivoque à ce sujet. Il ne s’agit pas là d’aggraver la césure au sein de la société, mais la réforme marque un triomphe modeste pour de nouvelles victoires qui doivent se faire dans un consensus fondateur d’une société éliminant toutes les démarches d’exclusion et de crispation.

Comment votre parti a réagi quant à cette réforme du Code de la Famille?

Effectivement, le PPS était pendant très longtemps le premier parti à lever haut l’étendard d’une démarche d’équité pour la société et pour les femmes. Nous sommes particulièrement heureux qu’actuellement ce que nous étions pendant longtemps seuls à réclamer constitue autour de lui un consensus fondamental des principales forces de la nation.

Propos recueillis par H. Zaatit