Maroc: Après trois ans d'attente, Mohammed VI révolutionne le statut de la femme

Source: 
Le Monde
Le roi Mohammed VI a mis à profit le discours d'ouverture de la session parlementaire, vendredi 10 octobre, pour annoncer les grandes lignes d'un nouveau code de la famille.
L'initiative coïncide avec la visite d'Etat de Jacques Chirac au royaume.
La femme marocaine va - presque - devenir l'égale de l'homme. Le roi Mohammed VI a mis à profit le discours d'ouverture de la session parlementaire, vendredi 10 octobre, pour annoncer les grandes lignes d'un nouveau code de la famille, qui devrait être voté avant la fin de l'année. Il rapprochera la femme marocaine de la Tunisienne libérée et l'éloignera du monde algérien.

Sur ce sujet sensible, qui fracture la société marocaine entre "traditionalistes" et "modernistes", le roi a tranché clairement en faveur de ces derniers, même s'il a pris soin de préciser dans son intervention télévisée que les réformes ne devaient pas être perçues "comme la victoire d'un camp sur un autre".

A l'avenir, la famille sera placée "sous la responsabilité conjointe des deux époux", et non plus du seul mari. "L'obéissance de l'épouse à son mari", inscrite dans le code actuel, qui date de 1957, disparaîtra en faveur d'une égalité des droits et devoirs. Autre changement important, la femme n'aura plus besoin de l'autorisation de son père ou de son frère pour se marier. L'âge du mariage des filles, porté de 15 à 18 ans, s'alignera sur celui des garçons.

"ARGUMENT OBJECTIF"

La polygamie, autorisée par l'islam, ne sera pas formellement interdite mais encadrée de telle sorte qu'en pratique elle devrait disparaître. Elle ne pourra être autorisée par un juge que si le mari dispose d'un "argument objectif exceptionnel" pour "justifier son recours à la polygamie". La femme pourra subordonner son mariage à l'engagement écrit du mari de ne pas prendre d'autres épouses et, si son conjoint y contrevenait, divorcer pour "préjudice subi".

Autre cheval de bataille des féministes marocaines : la répudiation, jusqu'alors un droit exclusif du mari. Pas plus que la polygamie, elle ne disparaît, mais Mohammed VI a annoncé qu'il fallait en "restreindre le droit" au profit du divorce judiciaire. Dorénavant, il n'y aura pas de répudiation sans autorisation de la justice.

Les enfants ne seront pas oubliés. En cas de séparation du couple, leur garde sera confiée en priorité à la mère. A l'âge de 15 ans, ils seront libres de choisir entre leur père ou leur mère.

Le discours du roi a été accueilli avec joie par les associations de femmes, reçues, vendredi soir, par la conseillère du roi chargée de la famille, Nasri Zouleykha. "C'est un pas de géant pour les femmes de ce pays. L'ancien code était basé sur l'obéissance de l'épouse. Le prochain va privilégier la responsabilité partagée des deux conjoints. C'est bien de faire voter le texte par le Parlement. Le statut de la femme quitte définitivement le champ religieux au profit du politique", a résumé Leila Rhiwi, la coordinatrice du réseau Printemps de l'égalité.

PROFIL BAS

Porte-parole de l'association islamique - réputée très influente - Justice et bienfaisance, Nadia Yassine n'est pas moins satisfaite. "Le discours du roi s'inspire d'une relecture intelligente des textes sacrés. C'est un retour aux sources de la religion", a-t-elle indiqué au Monde.

Vendredi soir, les islamistes du Parti de la justice et du développement (PJD), la première formation de l'opposition, n'avaient pas encore réagi. En 1999, lorsque le gouvernement dirigé par le socialiste Abderrahmane Youssoufi avait ouvert le débat sur le statut de la femme, le PJD était descendu dans la rue. La démonstration de force de ses militants avait conduit M. Youssoufi à enterrer le dossier, alors repris par le Palais royal qui, depuis, semblait temporiser.

Les attentats-suicides du 16 mai à Casablanca ont changé la donne. Accusés d'être les "inspirateurs" de ces actes, les islamistes du PJD jouent depuis profil bas. Il est peu probable qu'ils bataillent au Parlement contre le projet de code de la famille, même s'ils continuent à en penser le plus grand mal.

Comme s'il s'agissait d'amadouer leurs troupes, Mohammed VI a pris soin de truffer son allocution de vendredi d'un grand nombre de citations religieuses.

Béatrice Gurrey et Jean-Pierre Tuquoi

ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 12.10.03