Maghreb: Racisme, sexisme et violence à l’égard des migrantes Africaines subsahariennes

Source: 
AWID

Les intersections entre le racisme, le sexisme et la violence à l’égard des migrantes africaines subsahariennes au Maroc et au-delà sont un gros problème. L’AWID s’entretient avec Helena Maleno Garzón, chercheuse spécialisée dans les migrations et dans la traite des êtres humains, et membre du réseau Caminando Fronteras. Elle nous prévient: «les discours des politiciens qui s’appuient sur la sécurité pour arrêter les organisations mafieuses ont renforcé les réseaux de traite de personnes. Ces réseaux se tournent maintenant vers les femmes et les enfants.»

Par Mégane Ghorbani, le 5 décembre 2014

Le Maroc est un pays à la fois d'émigration et d'immigration. Mais plus de vingt ans après la ratification de la Convention des Nations Unies sur la protection des droits des travailleurs migrants et des membres de leur famille, l'Etat marocain ne parvient pas à garantir son application. Non seulement les forces de sécurité commettent des abus de droits, mais les migrant-e-s subsaharien-ne-s sont également victimes de discriminations raciale et sexiste qui les marginalisent au sein de la société marocaine. A Tanger, principale porte du Maroc vers l'Europe, des groupes civils se livrent même à une « chasse aux migrant-e-s subsaharien-ne-s » résultant sur des violences sexuelles contre les femmes et l'assassinat d'un jeune sénégalais en août dernier.

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Manifestation de migrantes à Lausanne, en Suisse, le 21 juin 2014. Crédit: Gustave Deghilage

La politique de militarisation des frontières mène à des abus de droits des migrantes

Face à l’externalisation des frontières et à la politique de militarisation des frontières de l’Union Européenne (UE),  Caminando Fronteras, un réseau régional militant, composé majoritairement de femmes de plusieurs disciplines (médecins, cinéastes, infirmières, travailleurs sociaux, journalistes, etc.), a décidé de travailler de près sur les questions d’abus de droits des migrantes dans les zones frontalières de l’Afrique du Nord (Mauritanie, Algérie, Maroc, Mali) et de l’Espagne.

Le discours sécuritaire croissant diffusé par les dirigeant-e-s de l’UE, dans les politiques migratoires de l’UE, a conduit à l’établissement de l’agence européenne pour la gestion de la coopération aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne (Frontex). Créée en 2004, cette agence peut « signer des accords avec des pays tiers,  organiser des vols de retour conjoints et, depuis la révision de son mandat en octobre 2011, échanger des données personnelles avec l’agence européenne de coopération policière Europol et initier des opérations terrestres et maritimes de contrôle des frontières », d’après la campagne Frontexit. Cette politique sécuritaire va à l’encontre des droits humains, notamment du droit à l’asile et de la liberté de circulation. Par conséquent, les zones transfrontalières sont souvent dénoncées en tant qu’espaces où les droits humains ne sont pas respectés.

La criminalisation de la migration a accentué la violence à l’égard des femmes, qui sont plus vulnérables dans les zones transfrontalières, où il existe un important risque de violence sexuelle de la part des forces militaires. Helena Maleno Garzón nous dit : « les discours des politiciens qui s’appuient sur la sécurité pour arrêter les organisations mafieuses ont renforcé les réseaux de traite de personnes. Ces réseaux se tournent maintenant vers les femmes et les enfants. Dans ce contexte, nous pensons qu’il est important d’adopter une approchée basée sur les droits, dont le droit à la liberté de circulation, afin de combattre la traite des personnes. Si une femme a un accès total à ses droits, elle n’aura pas besoin de se tourner vers ces réseaux de traite. »

A travers le Maroc, il y a entre 30 000 et 40 000 migrant-e-s subsaharien-ne-s bien que l’accès à des données précises reste compliqué. D’après Helena Maleno Garzón, la proportion des femmes migrantes augmente depuis quelques années. « Les femmes constituent environ 15 à 20% du total mais dans certaines communautés, elles constituent la majorité ». On observe un nombre important de femmes dans les communautés nigériane, camerounaise, ivoirienne, sénégalaise, malienne et congolaise (de RDC). « Beaucoup de camerounaises migrent aussi vers Oran, en Algérie, et tombent dans des réseaux de traite. La destination finale sera l’Europe avec parfois une exploitation sexuelle en France, en Belgique, en Hollande et en Allemagne. »

Parmi ces migrantes, beaucoup viennent accompagnées de leurs enfants qui sont aussi parfois victimes de traite. Helena Maleno Garzón s’exprime à propos d’un travail de recherche actuellement en cours sur les enfants dont les mères sont victimes de traite, migrantes ou réfugiées au Maroc.  « Beaucoup de ces enfants sont adoptés par des familles blanches et leurs mères ne savent pas où ils sont. Par exemple, à la frontière de l’Algérie, la mafia kidnappe les enfants et les donne à une autre femme pour migrer vers l’Europe. Ce réseau abandonne l’enfant une fois la traversée effectuée et il sera par la suite adopté. On a alors beaucoup de cas de mères qui cherchent leurs enfants disparus. Cela peut arriver dans les cas de refoulement où les droits des migrant-e-s ne sont pas respectés et l’enfant n’est généralement pas enregistré, ce qui signifie que si quelqu’un le kidnappe, on ne pourra pas alors reporter la disparition. Il y a aussi le problème des enfants qui naissent de femmes victimes de traite. Selon le Protocole de Palerme, ces enfants doivent être protégés et considérés comme des victimes de traite, mais en réalité, ce sont les dirigeant-e-s du réseau de traite qui décident à la fois pour l’enfant et pour la mère. »

Intersections du racisme, du sexisme, de la discrimination et de la violence sexuelle

Helena Maleno Garzón explique « Il y a un racisme énorme au Maroc sur lequel les autorités n’agissent pas. Le degré de discrimination varie en fonction du sexe, de la religion (chrétienne ou musulmane), de la couleur de la peau et des ressources économiques. On est dans une situation où les femmes qui ont un mode de vie différent de la norme sont insultées et dénigrées. De plus, elles n'ont même pas accès aux petits travaux informels et doivent alors souvent exercer un travail du sexe. Elles sont aussi sujettes à des agressions sexuelles, pas seulement de la part de la communauté migrante qui comprend beaucoup de violences basées sur le genre en interne, mais aussi de la société et des forces de sécurité marocaines. Suite à ces agressions sexuelles, de nombreuses femmes subissent alors des avortements mais l’avortement étant interdit au Maroc, il sera réalisé de manière clandestine, généralement via le Cytotec, un médicament procuré sur le marché noir à Ceuta et Melilla, villes autonomes espagnoles. Les migrantes subissent tellement de violences sexuelles qu’on a certains cas de femmes qui ont avorté avec ce médicament huit fois dans l’année. »

L’accès à l’éducation reste également un défi pour les enfants de femmes migrantes qui ne sont généralement pas scolarisés ; lorsqu’ils le sont, cela s'exerce de manière non-officielle, c’est-à-dire qu’ils n’auront pas de certificat attestant qu’ils ont fini un cycle d’étude. Leur droit à la santé est également bafoué car les migrant-e-s n’ont pas les mêmes droits que les nationaux en la matière.

Tanger, situé au Nord du Maroc, à l’entrée Ouest du Détroit de Gibraltar, est devenu un site de cristallisation des tensions entre Marocain-ne-s et subsaharien-ne-s. Helena Maleno Garzón raconte que depuis le printemps 2014, des groups civils organisés ont attaqués des migrant-e-s. Dans le quartier Boukhalef, habité par de nombreux migrant-e-s, certaines maisons ont été attaquées et des femmes ont été agressées sexuellement, sans que la police n’intervienne. Helena Maleno Garzón, a été elle-même victime de violence sexuelle, la nuit du 15 au 16 août 2014. Elle nous explique que durant cette nuit d’émeutes, des groupes civils violents armés de machettes ont attaqués des migrantes et leurs enfants, brulés des maisons et agressé sexuellement des femmes. La police a observé ces scènes de violence sans rien faire. « Le chef de cette attaque n’a pas été arrêté et est encore dans le quartier. Encore aujourd'hui, les femmes me disent « l'auteur de mon viol est en bas de la maison ». C’est l’impunité totale. » Cette impunité a conduit à une autre attaque à l’encontre des migrant-e-s deux semaines plus tard dans le même quartier, résultant sur l’assassinat d’un jeune sénégalais. D’après Helena Maleno Garzón, le soir de ce meurtre, « la police marchait même aux cotés des groupes munis de machettes ».

Depuis ces agressions, beaucoup de migrant-e-s ont été renvoyé-e-s vers leur pays d’origine sans tenir compte de la loi puisqu'ils-elles n’ont même pas été identifié-e-s par leur ambassade. Helena Maleno Garzón considère que « l’Espagne et le Maroc ont fait du nord du Maroc un Etat policier qui prime sur le droit. »

Travailler pour les droits des migrantes et des victimes de traite au Maroc

Les organisations féministes oublient généralement les migrantes et bien que certaines organisations au Maroc soutiennent les migrant-e-s, elles adoptent plutôt une approche humanitaire qu’une approche fondée sur les droits des femmes. Pour Helena Maleno Garzón « elles ne comprennent pas vraiment les défis des migrantes qui sont perçues comme des groupes vulnérables ou des bénéficiaires. Les associations ont des préjugés sur les femmes en général. On est dans un pays où les droits des femmes ne sont pas respectés, même pour les femmes marocaines, donc le premier préjugé sera parce qu’elles sont femmes et le deuxième parce qu’elles sont noires. » 

Afin de surmonter ces difficultés, Caminando Fronteras travaille avec des organisations de femmes en Afrique subsaharienne, notamment au Nigéria et au Cameroun. « En Europe, on travaille avec des associations de terrain militantes comme nous. On essaie de suivre le parcours de femmes sur le long terme. C’est un processus social et c’est pourquoi on essaie de voir comment orienter ces femmes dans d’autres associations qui les aideront au cours de leur migration. Pour nous, le seul moyen de lutter contre la violence et les réseaux de traite des migrantes c’est l’accès aux droits fondamentaux et un de ces droits, c’est la liberté de circulation. »

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